Voïvod a bientôt quarante ans de parcours discographique et ce projet a été analysé de nombreuses fois. On sait comme son arrivée fut une surprise de par l'approche progressive de leur musique. Comme pour d'autres metalleux, la reprise en son temps d' "Astronomy Domine" du Pink Floyd marqua mes jeunes esprits. Désormais, les compositions alambiquées sont un élément devenu classique, y compris dans le black metal de Nachtmystium (la boucle est bouclée : "Holographic Thinking" débute comme "One of these Nights" - je sais : "beaucoup d'artistes ont utilisé la note Do").
Pourtant, à la découverte de ce nouvel album, c'est un autre point qui se révèle à mes oreilles.
Dès les premières notes, le plaisir de l'habitude est là : c'est que Voïvod, c'est un son à nul autre pareil. Peu importe en fait la structure des compositions, ce qui me séduit, c'est cette manière si singulière de faire sonner ce "techno thrash industriel". Ce n'est pas une question d'harmoniques (enfin, pas tout à fait car les lancements de "Paranormalium" et de "Memory Failure" possèdent bien ce côté décalé), mais bien une alchimie. Peut-on réellement parler de musique metal ? Les tempos sont alambiqués, mais pas forcément rapides en dehors des accélérations, la voix chante bien plus qu'elle ne hurle. Il y a ce traitement dans les aigus, l'effet sur la voix, les solos dignes du space-opera, ce talent illustratif qu'Ange possédait aussi en France (je pense à eux sur quelques passages de "Planet Eaters"). C'est une atmosphère bizarre, de contrées lointaines et, lorsque j'étais adolescent, je me copiais des titres de Voïvod sur une cassette nommée "Strange Lands". Terra incognita. Le titre éponyme fait partie de ces inclassables. Tout est réuni : le frisson des années 1980, celui des années 1970, comme si le post-punk était à la fois psychédélique, métallique, heavy (ah ! le solo de "The World Today"), hard-rock, noise et funky. Les années comptent peu chez Voïvod, il n'y a pas d'envie de sonner moderne. Ce qui se joue sur cet album était déjà là aux débuts du groupe. Pas de traces de metalcore, de black metal, ou de n'importe quel autre genre sorti depuis trente ans. Quelques souffles de vent astronomique vers la fin de "Mind Clock", histoire de sonner différemment pour ceux qui fouinent avec leurs oreilles. On peut aussi penser à Opeth pour cette capacité à murmurer sur fond acoustique, en beauté suspendue.
Malgré cette relative stagnation, la joie ne s'émousse pas : chaque nouvelle sortie impose le sceau des retrouvailles et les détails foisonnants (murmures, volutes quasi funky de la basse, breaks...) sont autant de recoins qui génèrent des sourires admiratifs. Le travail de Francis Perron à la console est de très haut niveau : sur "Mind Clock", tout sonne à sa place (à l'exception des cymbales, trop présentes puisque je préfère un Voïvod plus en profondeur) et la dynamique surgit de façon étonnante pour une sorte de refrain énervé. Les premières secondes de "Quest for Nothing" sont là aussi un tableau sonore méticuleux, chaque piste ayant sa propre voie, claire et dégagée. Même lorsqu'un titre me passionne moins, un détour révèle tout à coup un paysage fort émouvant ; ainsi "Holographic Thinking" me touche peu pendant deux minutes, puis un autre braquet est développé à la troisième minute qui change toutes les perspectives.
On l'avait dit : la disparition de l'historique et aimé Denis "Piggy" D'Amour a été abordée et dépassée. Sans renier l'héritage, Daniel Mongrain a imposé sa marque dans les guitares, bientôt rejoint par Dominic Laroche à la basse en remplacement de Jean-Yves Thériault. Nul doute à l'écoute de "Planet Eaters" que cette paire fonctionne, surtout quand on sait que pour ce quinzième album, les répétitions se sont faites par fichiers échangés et du travail en distanciel. Il y a une unité de façade dans le son et dans l'attitude qui ne trompent pas. Amusements punky-prog sur "Sleeves off" : Voïvod peut tout faire, c'est une moulinette.
Avec Synchro Anarchy, Voïvod raconte encore des histoires, calés dans un fauteuil de maître, salué par un Juno Award en 2019 pour l'album The Wake et avec déjà un nombre de visionnages à six chiffres pour le premier clip extrait. Nous écoutons avec bonheur. La version Deluxe de l'album contiendra un deuxième CD, Return to Morgöth, un live de 2018. Ne pas hésiter.