Avant de parler de ce nouveau disque, il est juste de dire d'abord quelques mots de son auteur. Catherine Watine, dont je suis le travail depuis quelques années maintenant (2010), est une artiste entière, qui ne triche pas. Pour elle, l'expression artistique est vitale, indispensable. Chacun de ces disques est un temps pris pour se poser, s'exprimer au plus près et pour partager. Sur son Facebook, elle place des mots, des images, témoigne de sa vie, de ses réflexions et aussi de ses interrogations. Je l'avais déjà mentionné (je relis mes chroniques, une habitude...) et je le réitère car c'est important. C'est une personne riche et, lorsque vient le moment où une sortie d'album advient, ceux qui apprécient son travail et la suivent, comme moi, ont en tête un cheminement, des références communes, des épreuves, un making-of, toutes proportions gardées. Je vous invite donc fortement, si vous aimez ces nouveaux titres, à considérer aussi ce travail de mise en lumières global, intéressant sur le plan humain, mais aussi sur le plan artistique puisque le processus révèle ce que l'Art transcende. Merci à elle pour ces dévoilements.
Ce nouveau disque, Intrications Quantiques donc, fait suite à Géométries Sous-Cutanées – et au projet Phôs. C'est un ensemble de titres instrumentaux, joués au piano principalement, l'instrument étant secondé par de multiples ajouts de pistes qu'on qualifiera d'atmosphériques ou d'ambient.
C'est avec "The Lighthouse on the Edge" que le métissage atteint des sommets : le piano et les cordes sont parasités et tout à la fois épaulés par des bruissements et superpositions, la voix à faible volume déployant un nouvel espace chantonné, entre heavenly et avant-garde. On ne fait plus dans le cinématographique et la description de décors ou paysages mais dans des questionnements sur le Beau, le concret et l'évanescent. Comme des masques placés et retirés, la comptine du "Loup y es-tu", cela forme un dialogue avec l'Absent (ou les Absents, i.e. nous autres).
Le parti-pris est osé, accentuant la distance avec la sortie du Phôs, l'an passé, dans lequel textes et musiques s'ancraient dans des références plus communes. Là, Watine s'éloigne et tient sa distance, reliée à nous par un fil qu'elle dévide, tord et dont elle gère la tension, plus ou moins lâche : la manière de toucher le clavier sur "Still Water run deep", les autres instruments qui créent leurs émotions à eux, en parallèle, les différences de volume et d'implications, font une danse muette, une démonstration d'avancées et de reculs. À cet égard, la pièce finale, plus afro-jazz dans ses intentions (séparer forme et intentions chez elle !) avant une boucle avec retour au piano, est un point de rencontre habilement nommé puisque situé outre-espace : "Interstellar Un-Ravel". Comme si l'Art était un rendez-vous du troisième type.
Ce jeu avec la mise à distance apporte une profondeur physique et crée un sentiment étrange ("Blurred Shapes") : comme si nous nous promenions dans le studio ou dans sa tête, passant de la mélodie à un ailleurs, ses (nos) pensées qui divaguent. Comme si, finalement, la musique n'avait plus besoin d'être là, qu'on se levait pour voir une autre pièce, avant d'y revenir. Ces instants de décrochage sont précieux, ils aident à entendre, ils désacralisent, ils font vrai, donnent un effet de réel en un temps où sortir en concert est plus que compliqué.
Créé en peu de mois, ce disque une nouvelle fois sensible, inspiré et réfléchi, s'offre comme une leçon sur la musique, un concentré de sagesse en toute humilité, un petit rêve personnel et lucide. Troublant, évidemment !