Intéressante formule que cet album : Watine y revient à son amour pour le piano en finalisant des improvisations nocturnes qu'elle avait éparpillées dans le temps. Mais est-ce bien cet instrument qui compte ? Le piano mène la danse, offre la mélodie et insuffle son rythme et ses sentiments dans la façon de jouer, de taper ou caresser les notes...
Pourtant, Catherine ne serait pas Watine sans les arrangements. Sur "Soul Speaking", un souffle drone ténu en deux ou trois notes superposées comme des cordes synthétiques, un "floppement" (flottement/flappement) parfois proche d'une rafale de mitraillette, qu'on entend d'autres fois comme un battement d'ailes (alors qu'il ne varie que peu). C'est cet environnement à la chose piano qui donne sa densité à la partition, créant un tout mouvant, élégant et racé, certes, mais curieux et un peu inquiétant.
Les nappes de vagues et les fields recording de cris d'oiseaux nocturnes sous la pluie, les volutes synthétiques se font plus appuyés sur "Early Days" : la suite mélodique se marque à deux voix ; main droite et main gauche alternent et embrassent leur partition sans qu'on puisse dire que c'est réellement la droite qui a la main, avec son note à note simplifié au regard des harmoniques délicates et perturbées que joue la gauche. C'est très beau, car on se promène avec l'artiste, dans un romantique jardin des souvenirs ; le piano joue les diverses émotions qui la traversent alors qu'elle ralentit, fait un pas de côté, se penche vers un buisson ou se pose sur une chaise.
La pluie se fait plus forte, accompagnée d'étranges bêlements au violon sur la première minute d' "Unbroken Fields" ; il y a du Hitchcock là-dedans pour la grâce, le désespoir et l'attachement. Les émotions se succèdent rapidement, Watine venant réconforter et réchauffer l'auditeur : le soin apporté à la spatialisation des sons, à leur structuration autant spatiale que temporelle se rapproche des puzzles de la musique concrète plus que des partitions cinématographiques : c'est très précis ; et tandis que la voix en français arrive en retrait pour le poème, c'est un écrin de toute beauté qui accompagne quelques mesures et se referme. Je regrette qu'en dehors de ce passage ce disque soit uniquement instrumental car la voix de Catherine et ses mots sont touchants. Ce sera mon seul bémol.
Plus loin, plus tard, un autre soir, "Feels like a Breath" convoque également des cordes pour créer un reposoir élégant mais légèrement détraqué, le Pleyel refusant les gammes classiques et le conservatisme. La présence d'une scie musicale sur quelques notes emmène plus haut, ouvre les fenêtres. Pas de hasard si Watine a choisi de nommer sa maison la Chapelle : il y a des murs et un Ciel, des invités et un Mystère. Même pour elle, la résidente, la créatrice, il y a cette part d'inconnu qui surgit devant le clavier ou la console de l'ordinateur.
Avec "All over the Place", un autre choix se fait jour ; on a toujours ce rappel de ce que j'ai nommé le « floppement » plus haut, mais la composition est plus tortueuse, rendant visible l'assemblage, comme une créature composite, coutures apparentes. "Folie Piano" tire à hue et à dia : basse, poussée jazzy (qui m'évoque encore un peu Squiban), martèlement d'un train, sonorités comme d'un piano préparé par instants, éclat soudain de la note finale... Retour des mélancolies mineures pour la suite "Odds & Ends", qui va et vient, virevolte, lumineuse et tragique, avec cet air de cauchemar qui tourne autour du fait des arrangements (une sorte de jeux de bracelets et de grelots accompagnant des pas invisibles). "Tendre Brume" insiste davantage sur la notion d'accords jouant avec les dysharmonies et une sorte de chœur glacé, sans doute l'un des titres les plus sombres de ce bel ensemble. La pochette est signée Caroline Lysiak.