Regrouper, donner (re)naissance aux choses : ce n’est pas la première fois que Colin Newman & co. nous font le coup. Souvenez-vous : Change Becomes Us, 2013.
10:20 est une collection de choses restées hors de portée, reformulées, achevées ou enfin achevées mais qui pour la plupart n’avaient pas eu l’occasion de se retrouver publiées / regroupées sous cette forme à considérer – a priori – comme définitive. Histoire d’un projet échappant à l’avortement : 10:20 devait initialement sortir pour le Record Store Day mais hop : un Covid, et plus de jour des disquaires. Fini, kaput. L’idée de sortir la compilation, elle, pas kaput du tout.
Un certain nombre de ces morceaux date de la période de travail et des sessions de Red Barked Tree. La forme originelle de certains, il faut aussi le souligner, date. Il en est d’ailleurs quelques-uns à avoir acquis leur réputation essentiellement par l’expérience du concert ("Boiling Boy", originellement paru sur A Bell Is A Cup, pièce live phare).
La présentation officielle de l’album prend soin de séparer les prises en trois catégories : les nouveaux morceaux, les vieux et les "nouveaux vieux". Le tracklisting est, d'une certaine manière, organisé : la seconde moitié de l’enregistrement concentre les forces du line-up actuel, dans sa forme pure. Mais dans un premier temps, il y a ce qui se passe avant : la plupart des quatre premiers titres (parmi lesquels la vieillerie "He knows", dont la première mouture date de 2000 mais n’a été réexploitée qu’en 2008) implique deux guitares invitées : celles de Margaret Fiedler (Laika) et de Matthew Simms : line-up impur ! - présentation qui s’explique par le fait que Matt n’était pas officiellement intégré à Wire à l’époque des prises. "Underwater Experience" (qui a connu plusieurs versions et remonte de l’époque du second album, Chairs Missing) est la plus rude de ces prises : Wire s’y emporte, produisant alors un bruit plus brut et anxiogène que sur le reste. 
Si les guitares "de l’extérieur" se mélangent au son originel sur la première moitié de l’écoute, elles ne brouillent point l’identité de Wire : les musiciens sont au service d’une cause qui les dépasse. Cette partie inaugurale reste cohésive, et l’unité de la seconde ne s’en remarque que plus. In fine, 10:20 présente une collection unie. Dès lors, l’écoute peut presque être vécue comme celle d’un nouvel album.
C’est bref, concis, efficace. Huit morceaux. Où l’on retrouve en fil rouge cette transparence dans le bruit pop / post-punk des Anglais, qui n’en finissent plus de produire depuis l’intégration de Simms. Rétrospective et poursuite d'une aventure cohésive dans sa plastique sonore, séductrice dans ses formes : Wire se présente ici sous des atours accessibles, ce qui a plus ou moins été le cas ces dix dernières années. Sur 10:20, la plupart des mélodies coule comme évidence. Il en va ainsi du spleenesque (et magnifique) "Art Of Persistance", paru originellement sur l’EP épuisé The Third Day, mais encore de "German Shepherds", totalement rajeuni. Des tubes, au même titre que le premier extrait "Small black Reptile", dont la première mouture date de 1990 (l’album Manscape). Wire sait aussi fabriquer une pop radieusement cosmique ("Wolf Collides", écrit en 2015, n’a pas su se retrouver au menu de l’album Silver/Lead), battant en brèche le mythe d’une urbanité matrice de ses fruits.
Derrière le titre en faux-semblant de cette compilation, Newman et Cie revisitent en réalité plus d’une décennie de création. Le verdict est d’un optimisme non feint : Wire, en pleine santé, reste d’une pertinence épatante.
