Yann Courtiau, encore libraire il y a peu à Genève, ne s’intéresse pas seulement aux livres mais tout autant aux musiques pop, post-punk ou de traverses. Il a eu la généreuse initiative d’étudier "ce que la littérature a fait à la musique et ce que la musique en a fait."
En neuf chapitres et à travers une dizaine d'écrivains, Yann entrecroise ses deux passions en nous exposant l'imaginaire littéraire de musiciens qui se sont réappropriés pour le compte de leurs compositions certains auteurs de renom. Au fil d’anecdotes, de commentaires ou de citations de l’auteur, cet essai permet de redécouvrir aussi bien ces grands noms de la littérature que ces artistes de la musique invoqués dans l’ouvrage et qui ont rendu hommage à leur manière aux romanciers les plus marquants. Les apports de la littérature dans la musique sont nombreux et indéniables, mais on ne les saisit pas forcément. On remerciera donc Yann pour ce travail ardu et passionnant, même si on sent sur la fin du livre qu’il a dû accélérer le processus. Le style semble moins soutenu dans les derniers chapitres.
L’intérêt d’un ouvrage tel que Frictions, au même titre qu’une bonne expo par exemple, est de susciter la curiosité, de donner envie d’en savoir plus sur une œuvre ou un artiste qui vous hante, d’associer telle œuvre ou tel créateur à tel ou telle autre, de prolonger sa lecture avec ce génial outil qu’est Internet, de parcourir d’innombrables pistes liées à ces nouvelles découvertes et pourquoi pas de chercher d’autres "frictions" oubliées ou laissées de côté par Yann. Ces frottements, ces heurts magnifiques entre des arts différents mais complémentaires font tout le sel des passionnés de culture tous azimuts et d’œuvres qui ont su bousculer votre confort moral, comme dirait Jean Cocteau.
Certains ont découvert Ennio Morricone grâce à Sergio Leone ou inversement, une reprise d’une chanson obscure par un artiste fétiche lève le voile sur la version originale, l’adaptation d’un film donne envie de lire le roman qui a inspiré le scénario, Kim Gordon avec son groupe nommé Harry Crews a mis en lumière, pour certains, l’existence de cet extraordinaire écrivain américain. Bref, les divers mécanismes de l’Art s’entremêlent et vous ouvrent la porte vers de nouveaux horizons ; et c’est tout à fait ce que permet Frictions. Yann Courtiau a choisi de mettre ici l’accent sur les liens entre Camus et Cure, And Also The Trees, Tuxedomoon ou Clock DVA, entre Sylvia Plath et Chelsea Wolfe ou Sonic Youth, entre Oscar Wilde et Gavin Friday ou Morrissey, entre Aldous Huxley et New Model Army, Buzzcocks ou The Beatles, entre Lautréamont et Bowie, Bauhaus ou Noir Désir, entre Jean Genet et Death In June, Daniel Darc ou Marc Almond, etc., etc.
Frictions est donc érudit, passionné et passionnant et comme le dit si bien Max Frisch (cité, du reste, par Yann dans son bouquin) : "Si la littérature n’existait pas, le cours du monde ne changerait guère ; mais on verrait le monde autrement ; on le verrait comme des privilégiés d’hier et d’aujourd’hui souhaitent le voir : à l’abri de toute mise en question."
Cela vaut pour la musique ou toute autre forme d’art.