DU COLLECTIF À L'INTIME...
Dix mois se sont écoulés depuis la sortie de All, ode lumineuse aux éléments qui suspendait le temps.
Difficile d’augurer que Yann Tiersen reviendrait cette fin d’année avec un format double album revisitant l’entièreté de son œuvre, de La Valse Des Monstres (1995) à aujourd’hui.
Ce sont ainsi vingt-cinq titres dont vingt-deux remodelés pour l’occasion et trois inédits qui composent la trame de Portrait, créé en collaboration avec plusieurs artistes venus spécialement à l’Eskal, le nouveau studio d’enregistrement de l’artiste à Ouessant.
Portrait ou … autoportrait ?
Qu’un artiste réenregistre sa propre musique, revienne sur ses morceaux suscite souvent une forme d’interrogation, probablement pour lui-même d’abord, et pour son public ensuite. On vous épargnera l’exégèse psychanalytique bon marché mais il semblerait que le moment soit venu pour l’artiste brestois sinon d’une introspection, au moins d’une forme de distanciation, d’un réexamen et donc in fine d’une réappropriation de son œuvre. Sonder à nouveau les thématiques des morceaux, découvrir leurs nouvelles physionomies et leur texture 100% analogique, entrer dans l’intime musical de Tiersen, c’est le voyage auquel nous invite Portrait.
Foin du numérique, retour dans l’ancien monde, celui d’avant la traduction des sons en 1 et 0. On embarque pour quatre-vingt-dix minutes de traversée modern classical, minimaliste, ambient, avec des escales dans différents albums, notamment : La Valses Des Monstres (1995), Le Phare (1998), EUSA (2016), All (2019).
Yann Tiersen n’a pas lésiné sur le personnel naviguant : Gruff Rhys de Super Ferry accompagne Emilie Tiersen au chant pour une version de "Monochrome" "moins Butte Montmartre."
Stephen O’Malley, fondateur de Sun O))), s’est déplacé pour une contribution guitare sur un crépusculaire "Introductory Movement" qui ouvre magnifiquement album.
Le groupe de rock new-yorkais Blonde Redhead a prêté main fort sur la ballade ensoleillée "Closer".
On notera un moment fort avec les voix de John Grant et Mélanie Knott sur "Thinking like a Mountain", lisant des extraits de l’Almanach d’Un Comté Des Sables d’Aldo Léopold, une réflexion incontournable sur l’homme et sa relation avec la nature.
Ce double album est aussi l’occasion pour l’artiste de tendre un pont bienveillant entre toutes ses œuvres, y compris la BO d’Amélie Poulain dont on retrouve ici deux titres emblématiques : "La Dispute" et "Comptine d’un autre Été". Réconcilié avec ce qui lui a assuré un succès planétaire, Yann Tiersen tenait à replacer ces morceaux dans leur contexte afin qu’ils permettent aux gens selon ses propres mots, "d’écouter (sa) musique pour ce qu’elle est réellement et non pour l’usage qui en a été fait." Dont acte.
Portrait est un objet sonore qui remodèle, épure parfois sublime, c’est selon.
Une relecture des anciens morceaux ne saurait être néanmoins un palimpseste ôtant toute légitimité esthétique aux versions originelles. Si on entre facilement dans l’intimité des morceaux, il n’en demeure pas moins que ce double album est surprenant, déconcertant parfois aussi. Reste à savoir s’il doit se concevoir comme une finalité ou un nouveau point de départ dans la discographie de Tiersen… L’avenir le dira. Les pas font le chemin, dit-on.
