Rythme poisseux, cordes macabres, Liquid Crystal débute dans la fange d’un antre de gobelins bioniques. "Fuyez, pauvres fous", semble hurler la victime sacrificielle éventrée au coin du bois… On nage en eaux troubles sur cet EP de trente minutes, perdus dans la synthèse cinématique de ce duo passionné. De langueur océane en vrombissement tellurique, l’art de Zombi s’épanouit en Archive sentencieux, détournant les Oiseaux-Tempête pour reprendre une commande spatiale fortement teintée de post-rock ("Mangler" et "Chant"). Le noir est ici une couleur bleutée, les harmonies choisissent de célébrer un monde ancien… Carpenter pointe sa moustache, l’air de rien, dans ce délire funeste. Son style imitable se retrouve le long de ces cinq vignettes horrifiques et pulsées. Avec le rétro comme marque de fabrique, Steve Moore et A.E. Paterra glorifient les codes d’une bande-son de giallo hipster, offrant par exemple des parties délicieusement kitsch ("Liquid Crystal" et son solo de guitare déchirant…). "Black Forest" s’impose également comme une bluette vintage que ne renierait pas le Tangerine Dream des années quatre-vingts. Nos deux hommes s’enflamment en douceur. Si le schéma crescendo/decrescendo bat son plein, c’est pour mieux te faire vibrer mon enfant ! Les morceaux sont efficaces, caisses de résonance de ce qu’ils ont pu proposer par le passé. Les Américains s’imposent ainsi comme des gourous d’une électronique flippante et incarnée. Les atmosphères visuelles, ténébreuses et emphatiques sont finement mises en place. On est tendu sur "Turning Points", vaporeux sur "Liquid Crystal" et extatique sur "Black Forest". La musique proposée est aussi intelligemment organique, faite avec le cœur palpitant de fans d’une sous-culture plus que jamais vivace. Sans être synthwave, ils surfent en précurseurs sur cette vague, tout en conviant leurs auditeurs à s’ouvrir à des constructions prog. Un disque fort bien troussé et joliment narratif.
