Ce n'est ni la première ni la dernière fois que ces petits malins de Born Bad Records nous sortent un OVNI de derrière les fagots. Zombie Zombie, c'est eux, publient en 2022 un nouvel essai studio, 'Vae Vobis', dont l'imagerie est signée d'un certain Druillet. Ca part bien.
La suite, c'est plus compliqué. La chronique est un regard, un ressenti - et comme certains disent, la vérité est ailleurs. Leur pacifisme nous perdra : Mäx Lachaud et Sylvaïn Nicolino refusant d'en venir aux mains, et une fois n'est pas coutume, nous publions aujourd'hui une opinion dédoublée, consacrée au nouvel opus studio du projet d'Etienne Jaumet, Cosmic Nema et Dr Schonberg. Le format long a été précédé du single "Nusquam & Ubique". Aujourd'hui, l'album est là et divise gentiment. Un Nicolino en retrait respectueux, un Lachaud plus extatique.
'Vae Vobis' - Release party @ La Maroquinerie (Paris) le 25/03/2022
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L'OPINION DE SYLVAÏN NICOLINO
Genre : electro-peplum (mais léger)
Ah ! Le retour d'Étienne Jaumet, Cosmic Nema et Dr Schonberg avec Zombie Zombie ne peut laisser indifférent. Leur formule électro groovy s'est inscrite dans le paysage musical, pas loin des retentissements de la vague rétrofuturiste des Perturbator et autres Carpenter Brut. Avec ce nouveau disque, Zombie Zombie prend le large. Le soin pris sur les parties rythmiques, leurs sonorités profondes accordées aux basses synthétiques, fait office de modernisation d'un dub sombre ("Erebus"). C'est à la fois léger et travaillé, chacun des sons ayant sa propre identité. On en profite également pour revoir des bases latines, sous l'influence d'Erasme. Une autre influence assumée, c'est celle du dessinateur Philippe Druillet qui signe une nouvelle fois l'artwork, secondé par Avril et Avramoglou. On est resté dans la bande de copains puisque l'enregistrement et le mixage se sont répartis entre Bagnolet et Montreuil.
Sachant cette zone géographique, on dit qu'on tient la bande-son d'une ville d'aujourd'hui : multiculturelle, prête à vivre la fête malgré les ponctuations négatives de l'environnement urbain. C'est une musique de soirée, mais pour la journée et ses déambulations à vélo, métro ou à pied. Les rythmes entraînants restent en tête et accompagnent les trajets ("Nusquam et Ubique", "Consortium" bondissant).
L'album, avec sa pochette, se situe dans le prolongement de Livity (2017) en passant par-dessus la sortie de 2018 (la B.O. du film L'Heure De La Sortie de Sébastien Marnier). Sauf qu'en 2022, ça va plus chalouper que tabasser ("Lacrymosa").
Le trio se fait plaisir et lance des passages cinématographiques dignes d'un peplum intergalactique ("Ring Modulus", enchaîné avec "Aurora"). La place du vocoder est équilibrée avec l'irruption des instruments "classiques" que sont le sax, les percussions, la trompette. C'est assez dantesque, sans tomber dans le phénoménal car la volonté reste de garder contact avec le sol ; ainsi les pièces ne s'étalent pas dans une durée trop longue, ce qui entraîne une frustration ("War is coming"). Le délire mystique à la Ghost (et tant d'autres), jouant avec le principe de la congrégation religieuse, ne dure qu'un temps : c'est un amuse-bouche dont on se passe finalement à l'écoute car il ne fait pas sens. Les idées sont orchestrées, on sent ce que ça pourra donner et on passe à autre chose, souvent au cours du morceau, construit avec des breaks et dont les fins sont parfois décevantes : finir le disque sur les dernières secondes de "Consortium" étonne.
L'intérêt réside alors dans l'accumulation des pistes (douze ici), rejoignant un peu le travail de Fantômas. C'est plus l'intégralité de l'album et la mise en place d'un univers qui prime sur l'attente d'un single.
NOTE : 65%
L'OPINION DE MÄX LACHAUD
Genre : krautrock / electro
En un peu plus d’une quinzaine d’années, Zombie Zombie est tout simplement devenu un des groupes phares de la scène indépendante française, notamment grâce à leurs concerts aux allures de grands rituels chamaniques. Deux bonnes poignées de EPs, des collaborations en-veux-tu-en-voilà, et un huitième album Vae Vobis qui risque d’en surprendre plus d’un. Déjà, Zombie Zombie a toujours été une formation à dominante instrumentale, si ce n’est quelques reprises (piochées aussi bien chez Sun Ra que The Normal), et là le chant en devient une composante essentielle. Mais pas n’importe quel chant car celui-ci se fait en Latin, au vocoder, et avec des chœurs dignes des opéras prog de Magma ! Écoutez un peu "Modus Operandi" et "Consortium" et vous verrez ! Il faut aussi préciser que les textes sont inspirés par des vieux proverbes d’Erasme ! What ? De quoi en perdre son latin, c’est sûr.
Pas de panique, les synthés analogiques et les rythmes métronomiques sont toujours au rendez-vous, avec suffisamment de références krautrock, new wave et electro pour que tout le monde s’y retrouve. On pense beaucoup aux musiques de films bien sûr, et surtout aux Italiens : Goblin, Morricone et même le Piero Umiliani d’Il Mondo dei Romani avec sa dimension péplum électronique. Parfois, un groove peut rappeler certaines formations des années 80, Indoor Life ("Lacrymosa"), New Order ("Dissolutum") ou Joy Division ("Lux in Tenebris"). Le krautdisco tubesque "Nusquam et ubique" doit beaucoup à Moroder, et le martial et addictif "Vae Vobis" est tellement démoniaque qu’on pourrait dire que nous tenons ici la facette la plus doom du groupe. On les retrouverait sur la scène du Hellfest que ça ne nous étonnerait pas !
Orgues vampiriques, vocalises de sabbat, cuivres maléfiques, il suffit de lancer l’intro du disque pour se rendre compte à quel point le trio n’a pas peur de l’épique et du grandiose, jusqu’à "Erebus", en sommet absolu de ce périple en forme de Montagne sacrée. Une entrée en matière faussement funky se transforme en litanie sensuelle et entraînante jusqu’à muter et monter toujours plus haut dans les strates psychédéliques. Zombie Zombie touche à l’éther et aux mélopées des anges. Voix humaines et trafiquées s’échangent des logorrhées hypnotiques, et nous laissent dans la suspension.
Pour leur premier disque chez Born Bad, après des années chez Versatile, Etienne Jaumet, Cosmic Neman et Doc Schönberg ont osé le gros studio, le gros son et les collaborateurs en conséquence (sopranos et consort)... et qui de mieux que le grand Philippe Druillet pour mettre tout cela en images et en dessins ! Une cérémonie païenne de haut vol à découvrir impérativement sur scène ce printemps pour se sentir possédé !
NOTE : 85%