Édité pour la première fois en vinyle, l'album de la rencontre entre Ô Paradis et Nový Svět avait fait date quand il était sorti en 2003, tant les univers musicaux des deux projets se révélaient complémentaires. Ni vraiment post-industriel ni vraiment néo-folk, ils avaient chacun développé un son singulier, inclassable. Avec Entre Siempre Y Jamás Suben Las Mareas, Duermen Las Ciudades, les deux voix masculines se conjuguaient avec bonheur autour de la langue espagnole, invitant à des ambiances chaudes, ludiques et séductrices. Harmonieuse, leur pop bricolée possède aussi une dimension un peu déglinguée, comme composée en état d'ébriété. Il y a de la fantaisie dans ces titres et aussi pas mal de mélancolie. L'exercice se révéla tellement fructueux qu'ils enregistreront un autre disque ensemble, Destello De Estrellas En La Frente chez Punch Records en 2005.
Dès l'introduction avec ses chants d'oiseaux, ses guitares planantes et ses spoken words, on sait que c'est l'ambiance qui va primer ici, mais une ambiance légèrement hallucinée pour ne pas dire lynchienne, avec cette contrebasse jazzy et ces évocations oniriques ("Iberia Sumergida"), parfois agrémentées de motifs de cordes obsessionnels ("Barcelona!"). Les rythmes sont entraînants, langoureux, bien que toujours un peu ivres, alors que les claviers apportent une certaine inquiétude. On ressent la chaleur méditerranéenne qui abrutit un peu et hypnotise, alors que les vagues s'échouent sur le rivage ("Tierra Gastada"). C'est moite, sexy à souhait ("Distancia 2") avec de belles textures ambient ("Distancia 1"). On y retrouve même l'esprit décadent des titres les plus délirants de Tuxedomoon, notamment quand les projets se prêtent à une sorte de valse carnavalesque ("La Cuna").
Même si les collages expérimentaux ne sont pas laissés de côté ("Perdedoros"), l'ensemble est très accessible, à la limite de l'exotica/easy listening sur boîte à rythme vintage et guitare gitane ("Te Vi Pasar"). Le minimalisme se fait volontiers romantique tout en maintenant une atmosphère trouble ("Héroes", "Las Cosas Invisibles"). Au final, Ô Paradis et Nový Svět créent leur propre psychédélisme, et on a plaisir à se replonger dans ce travail unique et stimulant.