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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
10/01/2023

Arcana

"J'ai toujours su quel son je voulais obtenir, même avec 'Dark Age', et je sentais que je me rapprochais de plus en plus de mon objectif." (Peter Bjärgö)

Genre : darkwave néoclassique / medieval / heavenly / dark ambient
Album külte : 'Cantar De Procella' (CMI, 1997/06)
Photographies : Anna Sörensson | 'Cantar de Procella' promotional sesions
Posté par : Oliviër Bernard

"Le Chant de l’Orage"… Dans notre rubrique Külte, nous revenons sur un album mythique des décennies 1980 à 2000. Cantar De Procella, deuxième opus des Suédois d’Arcana, rentre pleinement dans cette catégorie (vous pouvez en retrouver la chronique ici). Disque marqueur de la grande époque de la darkwave néoclassique, il va propulser le combo encore plus loin. Un style, une identité s’affirme : invitation au rêve, climats mélancoliques et envoûtants, atmosphère médiévale recueillie. Successeur de l’estimé Dark Age Of Reason, il témoigne de l’extraordinaire complicité artistique entre Peter Bjärgö (Pettersson alors), le géniteur du projet, et la vocaliste Ida Bengtsson.

Aujourd’hui, nous regardons à nouveau dans le rétroviseur avec les mots de Peter. Le musicien nous a accordé une sympathique interview au cours de laquelle nous avons pu évoquer la genèse du groupe, la figure tutélaire de Roger Karmanik (boss de Cold Meat Industry) et cette période de la fin des années quatre-vingt-dix. Un entretien qui démontre une nouvelle fois toute la classe et la sensibilité du bonhomme. Celui-ci nous livre en plus une petite confidence qui devrait ravir tous les fans de cette formation légendaire…

Obsküre : Quels étaient tes goûts musicaux à l'adolescence et ta formation musicale ? Quelle scène suivais-tu ? Comment décrirais-tu la vie musicale et culturelle d'Eskilstuna des années soixante-dix aux années quatre-vingt-dix ? Une ville dont tu es originaire ainsi que Hel, Kent, Pain of Salvation et... Anni-Frid Lyngstad d’ABBA !
Peter Bjärgö : Je viens de la scène metal et punk, et j'aimais secrètement la musique électronique. À la fin des années quatre-vingts et au début des années quatre-vingt-dix, j'appréciais des groupes comme Celtic Frost, Bathory, Bolt Thrower et Discharge, mais j'ai commencé à élargir mes goûts assez rapidement. La musique occupe une place importante dans ma vie depuis que je suis enfant, je me souviens avoir été marqué par les musiques de films et le classique dès mon plus jeune âge. J’ai élaboré l’idée de composer une musique qui aille au-delà de la constellation du rock, quelque chose qui appartienne à un autre monde.

Quel a été le point de départ de la création d'Arcana, et comment as-tu rencontré Ida ? 
En 1993, j'ai acheté une carte son pour mon PC 486 qui était livré avec Cakewalk (DAW) et j'ai commencé à expérimenter des sons et des mélodies. J'ai acheté un E-mu Proteus FX et je me souviens avoir écrit des chansons le soir et les avoir écoutées sur mon walkman alors que je travaillais comme relieur. Fin 1994, j'avais assez de matière pour commencer à réellement tout mettre en forme, et le nom Arcana me trottait dans la tête depuis un certain temps. J'ai enregistré une démo avec des morceaux sur lesquels j'étais le seul à chanter. Un de mes amis, Johan Hallgren, qui chantait aussi dans Arcana au début, a souhaité que je rencontre Ida. J'ai été époustouflé par sa voix. Je lui ai fait écouter les chansons que j'avais écrites tout en lui expliquant le concept que j'avais forgé dans mon esprit. Elle a adhéré à l'idée et m'a rejoint sur-le-champ. 

Pourquoi as-tu voulu explorer le thème du Moyen Âge ? D'où te vient cette attirance pour cette période historique ? 
À l'époque, je lisais beaucoup de choses sur le Moyen Âge, j'ai même étudié a langue latine ; je sentais qu'il y avait un lien avec mes idées musicales. Il est évident que d'autres personnes ont ressenti la même chose, car Arcana est toujours très associé au Moyen Âge.

Le nom d'Arcana est irrémédiablement associé au légendaire label Cold Meat Industry. Comment s'est passée la rencontre avec Roger Karmanik, qui apparaît un peu comme une figure paternelle ? Peux-tu retranscrire l'atmosphère de cette maison de disques à l'époque du milieu et de la fin des années quatre-vingt-dix ?
En 1994-1995, je ne savais pas du tout à qui m'adresser pour sortir ma musique. J'avais entendu parler de CMI, mais je crois que le seul groupe que je connaissais était In Slaughter Natives. Un de mes amis m'a suggéré d'envoyer ma démo à Roger, et pour moi, c'était un pari risqué car la musique de CMI était beaucoup plus dure et industrielle. Mais Roger était vraiment intéressé par mon projet et nous avons commencé à parler d'un album complet. Au préalable, il allait sortir un album de compilation, …And Even Wolves..., donc j'avais besoin d'enregistrer une chanson pour celui-ci. J'ai réservé un studio et j'ai enregistré "The Song of Mourning". Nous avions prévu d'enregistrer "Source of Light" mais de façon tragique, un de mes amis est mort ; alors quelques jours avant, j'ai écrit "The Song of Mourning". L'impact, pour tous les groupes de cette compilation, a été massif, et les choses ont commencé à se développer assez rapidement. L'atmosphère était très excitante et fascinante, j'avais réellement l'impression de faire partie de quelque chose de vraiment unique.

Le premier album, Dark Age Of Reason, a été encensé, à juste titre, mais je trouve qu'avec Cantar De Procella, vous êtes allés encore plus loin en termes de puissance de composition, d'envoûtement et d'atmosphères célestes. Comment as-tu perçu l'album à sa sortie ? As-tu ressenti que vous veniez de réaliser un disque majeur, très abouti ? Très souvent, la deuxième œuvre est plus difficile que la première, car il y a beaucoup d'attentes. Y avait-il un peu plus de pression lors de sa composition ?
Lorsque Dark Age est sorti, j'avais déjà commencé à travailler sur de nouveaux titres. Bien sûr, j'étais un peu nerveux à l'idée d'écrire un autre album, étant donné que Dark Age avait été tellement apprécié. En même temps, les choses me semblaient tellement nouvelles et excitantes que j'ai simplement gardé mon esprit immergé dans le concept développé. Ainsi, je n'ai jamais hésité ou commencé à trop réfléchir, j'étais à 100 % dans ce monde qu'Arcana était devenu pour moi. Je voulais rendre le son et les compositions plus professionnels, et mes compétences s'amélioraient à chaque chanson. J'ai toujours su quel son je voulais obtenir, même avec Dark Age, et je sentais que je me rapprochais de plus en plus de mon objectif.
Après sa sortie, j’avais un peu peur avant de lire les premières critiques, mais elles étaient globalement bonnes, alors j'ai commencé à penser à l'avenir. Je n'ai jamais l'impression de réaliser une œuvre majeure, je trouve toujours des défauts et des choses à améliorer.

Pour revenir à la question précédente, pour moi, avec Cantar De Procella, Arcana se démarque clairement en trouvant un son immédiatement identifiable. Quels instruments/types de claviers as-tu utilisés, et comment as-tu composé les titres ?
Après Dark Age, j'ai commencé à acheter de nouveaux équipements. Afin de développer et améliorer mon son et ma façon de composer, j'avais besoin de plus de voix sur mes synthés/échantillonneurs et aussi d'un nouveau DAW pour travailler. J'ai acheté l'ESI-32 d'E-mu ainsi que quelques-unes de leurs bibliothèques de sons orchestraux et ethniques et j'ai pu débuter l’écriture. J'avais également accès à une réverbération Lexicon, ce qui me semblait un luxe à l’époque.
Je vivais dans un petit appartement dans le centre d'Eskilstuna et mon salon était aménagé en petit studio. Je ne me souviens pas avoir fait grand-chose d'autre que de m'asseoir devant l'ordinateur pour essayer de rendre mes chansons plus proches de ma vision.

Cantar De Procella se distingue par son atmosphère enchanteresse et médiévale, traversée par des élans martiaux et grandiloquents, et d'autres plus lyriques et romantiques. On y trouve des paroles en latin, bien que la majorité du disque soit instrumentale. Dans quel état d'esprit as-tu composé l'album ? Quelles étaient tes influences musicales, littéraires, historiques, etc. ?
Il m'est difficile de me souvenir de mon état d'esprit exact, mais je me rappelle que je voulais faire un album avec plus de chant et de puissance dans les rythmes, etc. J'ai lu beaucoup de choses sur la peste noire et autres catastrophes médiévales (rires). Je suis allé à la bibliothèque locale pour emprunter des livres et des dictionnaires latins. Tout cela, combiné à beaucoup de vin rouge, a donné comme résultat un mélange de différentes choses. Je n'ai jamais prétendu connaître l'un ou l'autre de ces sujets, mais pour moi, c'était une époque passionnante et j’étais certainement dans un état d'esprit particulier à ce moment-là. Je faisais tout cela plus ou moins dans mon coin, peu de mes amis comprenaient ce que je créais, alors je le gardais pour moi.

Quelle est la signification du titre Cantar De Procella ?
Je ne suis pas à 100 % sûr de la traduction exacte mais dans mon esprit et d’après ma compréhension, cela signifie Song(s) Of The Storm. C'est une phrase et un sens qui me sont restés, alors j'ai simplement nommé l'album Cantar De Procella

L'album semble avoir été enregistré au Studio Underground à Västerås me semble-t-il, une ville très proche d'Eskilstuna, en février-mars 1997. Quels souvenirs gardes-tu de ces deux mois en studio ? Quelle était votre routine ? Comment les choses s'organisaient-elles ?
En fait, il a été enregistré à Eskilstuna, nous avons également un studio appelé Underground ici (NDLR : Mea culpa, la chronique correspondante comporte donc aussi cette petite erreur). Pour moi, deux mois, c'était beaucoup. J'avais écrit la majorité de la musique et des mélodies à l'avance, donc il fallait que nous enregistrions tout correctement. À l’époque de Dark Age, nous avions beaucoup de temps pour nous. Cette fois-ci, un ingénieur nous accompagnait en permanence. Donc au début, c'était un peu gênant de capter les voix avec quelqu'un que nous ne connaissions pas très bien. Nous avons tout enregistré sur des machines ADAT. Il devait y en avoir trois synchronisées, et lorsque nous étions sur le point de mixer toutes les chansons, deux des machines ont commencé à bouffer les cassettes VHS. Résultat : un morceau n'a jamais survécu au mixage ! Je ne me souviens pas lequel, et je ne le retrouve sur aucune sauvegarde. Triste histoire. J'ai encore quelques VHS, mais pas la totalité car certaines sont foutues ; néanmoins, ce serait cool de voir ce qu'il y a dessus. Mais bon, pas sûr que j'achèterais une machine ADAT juste pour ça (rires).
 
Quelle a été la réaction du public et des critiques en 1997, à la sortie du disque ? Comment s'est faite sa promotion ?
Les retours ont été très bons ! Bien sûr, les gens, même à l'époque, restaient bloqués sur Dark Age, mais j'étais vraiment heureux des réactions suscitées par Cantar De Procella. Je me souviens que nous avons commencé à jouer en live plus fréquemment et beaucoup des chansons de l’album étaient vraiment cool à jouer sur scène. Le festival Nights Of The Abyss en Belgique restera gravé dans ma mémoire pour toujours (NDLR : Arcana s’est produit à ce festival, situé à Waregem, le 26 juillet 1997. L’événement mettait en avant notamment les groupes de Cold Meat Industry. La performance du groupe suédois a été filmée par un spectateur, vous retrouverez le lien de la vidéo en bas de l’article).

Quel titre de Cantar De Procella préfères-tu, et pourquoi ? As-tu une anecdote particulière à propos de cet album ?
Je suis justement en train de l’écouter pendant que je te réponds. Il faut savoir que je n'écoute jamais ma propre musique, à moins que je ne sois en train de travailler dessus. Et pour tout te dire, j’ai été plutôt surpris de constater à quel point il sonne bien, surtout si l'on considère que j’étais encore novice. C'est difficile pour moi de choisir une chanson en particulier, mais "Opening of the Wound" et "Chant of the Awakening" sont très représentatifs de cet album. Et la voix d'Ida est incroyable sur ce disque ! Pour les anecdotes, je dirais que cette histoire de cassette avalée par la machine en est une bonne. Aussi, j’ai conçu les chansons "Song of Solitude" et "Song of Preparation" directement en studio. Nous avions prévu d'essayer d'enregistrer des parties chorales/vocales mais elles sont arrivées autrement.
 
Dans le livret, tu remercies Mark Riddick, un artiste connu pour ses illustrations de pochettes de metal extrême. Il est également célèbre pour avoir fondé The Soil Bleeds Black, un autre projet sombre inspiré par le Moyen Âge. Étiez-vous proches à l'époque ? Et est-il intervenu pour le magnifique artwork de Cantar De Procella ? Sinon, d'où viennent les différentes images du disque ?
J'ai fait la connaissance de Mark à cette époque, il m'a contacté et nous avons beaucoup échangé via ICQ. Il n'était pas impliqué dans l'artwork ou l'album, mais nous discutions beaucoup tous les deux et je trouvais ça plutôt cool qu'il y ait des gens aussi éloignés qui apprécient ce genre de musique. Les frères Riddick ont fabriqué les grands drapeaux et le logo pour nous lorsque nous jouions en concert. Je les ai toujours quelque part chez moi.
Pour ce qui est de l’illustration de Cantar De Procella, c'est Roger qui s’en est chargé. Je ne sais absolument pas où il a trouvé les images, etc. Je me souviens avoir été un peu sceptique au début, surtout pour le choix des couleurs, mais j'ai fini par m'y habituer et trouvé que c’était chouette.
 
Justement, à propos de l’artwork du disque, il a été complètement modifié pour la réédition de 2018. Peux-tu m’éclairer sur le choix de l'image de l'album remastérisé ? 
Lorsque nous étions sur le point de rééditer ces anciens albums, je n'avais pas accès aux anciens fichiers graphiques utilisés par Roger. Cette nouvelle illustration nous est chère, à Ia et moi, car nous sommes complètement amoureux de Visby, une ville située sur l’île de Gotland. Il s'agit d'une interprétation du XIVe  siècle à Visby (NDLR : il s’agit du tableau Valdemar Atterdag rançonne Visby, 1361 du peintre Carl Gustaf Hellqvist).

Pourquoi as-tu pensé qu'il était important de mettre à jour le catalogue d'Arcana ?
Je pense que c'est une bonne manière de ressortir les disques, et comme je n'ai pas accès à toutes les images, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose de nouveau.

Les années quatre-vingt-dix ont vu plusieurs groupes produire des disques majeurs dans le mouvement darkwave néoclassique tels que Collection d'Arnell-Andréa, Elend, Dark Sanctuary, Amber Asylum, Ataraxia... Quels étaient tes liens à l'époque avec cette scène florissante ?
Je me souviens que j'étais en lien avec beaucoup de gens de la scène. Je me suis fait beaucoup d'amis, mais j'en ai eu assez de chatter et d'envoyer des e-mails tout le temps, je suis d’ailleurs connu pour ne pas répondre aux gens qui me contactent. Mais ce milieu était vraiment cool à l’époque. Il y avait beaucoup de groupes qui faisaient de la bonne musique, et pour certains d’entre nous, on se rencontrait à des festivals, etc. 

À l'époque de Cantar De Procella, tu avais vingt-trois ans. Comment voyais-tu alors ton avenir et celui d'Arcana ?
Si tu m’avais posé la question il y a un an, je n'aurais rien eu à te signaler, mais avec la performance que nous avons faite au festival CMI 35, quelque chose a commencé à émerger. J'ai écrit des parties de chœur et d'autres choses qui pourraient aboutir à un nouvel album d'Arcana, qui sait. Je sais que je vais passer beaucoup de temps en studio l'année prochaine, ça c'est sûr (clin d’œil). (NDLR : Peter, certes, ne répond pas exactement à la question, mais nous révèle quelque chose de plus qu’intéressant : un NOUVEL ALBUM D’ARCANA ?! Une affaire à suivre de près…)