Musique de commande, Silence, sous-titre de The Abbey Project (titre de la présente œuvre prenant racine dans le contexte de sa commande), est estampillée solo. Voici le fruit d’une impulsion menée par Aret Madilian, fondateur des précieux, très précieux, Deleyaman. Réalisée à la demande du festival Etonnantes Abbayes de Normandie pour sa première édition, cette collection de dix atmosphères forme ce que les notes de l’album qualifient d’"exposition sonore". Peu de voix se greffent à ces ensembles acoustiques, mais lorsqu’elles le font, c’est avec retenue et cette justesse rare, absolue. L’intervenante n’est autre que la fidèle Bétarice Valantin. "Achernar" et le final 'Hadar", plus ouvertement religieux dans leur formalisation que les autres morceaux (esprit choral des voix), émeuvent particulièrement.
La puissance évocatoire de ces ensembles tient à un alliage subtil. La luminosité diffuse produit un effet caressant. C’est une musique accompagnatrice de vie. Sur "Procyon", le cousinage climatique avec d’anciens enregistrements de Dead Can Dance opère à plein.
Ces atmosphères ont constitué le tapis sonore de l’évènement qui s’est déroulé du 26 novembre eu 1er décembre 2022 dans les quatorze abbayes concernées. Leur offrande : un cadre propice à l’introspection. Entendez votre souffle, votre cœur battre. Il résonne dans l’extrême douceur des volutes, dans ce piano dont les lignes économes fendent l’air, comme dessinant l’horizon du désert ("Canopus"). La richesse des apports instrumentaux (oud, saxophone, violon, tavshevi entre autres) ne s’apprécie que dans son économie. En ce Silence, bien sûr, zéro profusion, mais une quête spatiale. Pour ne parler que d’elle, la flûte d’Eric Plandé porte dans l’air un climat de solitude, et suspend le questionnement ("Arcturus").
Les abbayes hébergent nos recueillements, et c’est dans cette entrée en vous-même que la musique de Madilian trouve sa raison d’exister. Dans ce qu’elle vous donne à saisir, à accepter. Dans ce qu’elle vous offre, de facto, pour le futur : une invitation à réaliser le projet de continuer à vivre, malgré les regrets, les actes manqués, malgré ces disparitions dont le nombre augmente avec le temps. Vivre avec, vivre en mesurant la chance donnée. En entrant dans les abbayes, fin 2022, vous entriez en vous-même. Revenez-y demain, et avancez. Vous le pouvez encore.
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Ce texte est dédié à Marc Roques (14/05/1953 - 01/02/2023)