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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
27/09/2024

Corpus Delicti

"Le trac est nécessaire, il fait monter l’adrénaline" | à propos de la sortie du disque live 'From Dust To Light'

Genre : gothic / death rock / post-punk
Photographies : Elliot Pietrapiana
Posté par : Emmanuël Hennequin

Corpus Delicti publie le 10 octobre 2024 son tout premier album live : From Dust To Light, enregistré à Mexico City. Deux ans après avoir entériné la décision de retrouver la scène, le  groupe  phare des scènes dark françaises vient de monter son propre label et a non seulement renouvelé sa relation avec le public, mais aussi relancé l’acte créatif : un intense double single est sorti il y a quelques mois, Chaos/The Crown. Retour sur l’expérience de la scène et esquisse d’un futur possible en compagnie de Sébastien Pietrapiana  (chant) et Franck Amendola (guitare).

Obsküre : Vous publiez en cette fin d’année un show live enregistré à Mexico City en avril 2023. Un projet de ce type a des implications matérielles voire en termes de gestion des émotions. Avez-vous enregistré plusieurs concerts sur 2023 avec l’ingénieur du son Frédéric Allavena avant de choisir ce show-là, ou avez-vous pris l’option one shot, ce qui a pu faire de ce concert un enjeu plus lourd et – mais vous seuls pourriez le dire – un moment plus anxiogène au moment d’entrer sur scène ?
Sébastien : Nous avions en fait enregistré les quatre concerts du Mexique, en nous disant que nous pourrions piocher dans chacun de ces live pour en tirer le meilleur. Mais finalement, il s’est avéré que le concert de Mexico lui-même était le meilleur, sans doute aussi car c’était le dernier de la tournée, et surtout, un show sold out devant 1200 personnes en folie.

Depuis votre retour sur scène, le feedback de l’auditoire sur la qualité de la performance est phénoménal. Vous avez fait écho à cela, à la fois dans votre adresse aux spectateurs via vos réseaux, mais aussi dans le dévoilement de traces témoignant de la puissance du line-up live. Avez-vous aujourd’hui le sentiment qu’une communauté se ressoude autour de votre performance en concert et, en dehors de l’envie que vous avez de jouer live, cette agrégation d’un auditoire autour de votre performance est-elle un fait vous encourageant à intensifier votre présence sur scène ?
Sébastien : Il est vrai qu’au départ, nous pensions être partis pour une dizaine de dates… Nous en avons finalement fait plus de trente. Nous ne nous attendions pas à un tel retour, un tel engouement, de surcroît, devant un public souvent très jeune qui nous découvrait. Les propositions se sont enchainées, et avec elles, l’envie d’aller encore plus loin. 

Vous revenez avec Ausgang à Mexico en novembre prochain… Une nouvelle terre promise pour Corpus Delicti, non ?
Sébastien : En effet. Nous sommes très sollicités pour nous produire en Amérique Latine. D’où ce retour au Mexique, mais aussi, pour la première fois, le Pérou, la Colombie et le Costa Rica.


L’exemple de forme le plus conséquent de votre nouvelle dimension live, avant la sortie de From Dust To Light, est passé par la mise en ligne, il y a à peu près un an, du film documentaire immortalisant le concert parisien de 2022 à La Maroquinerie. Avez-vous imaginé sortir ce show sur disque ? Et si oui, qu’est-ce qui vous a retenus ?
Sébastien : Non, pas sur disque. D’ailleurs, la captation au départ n’était pas vraiment en projet. Quand nous avons annoncé cette date, j’ai été contacté par Alexandre Pilot qui, dans les années 1990, étudiait avec moi au sein d’une école de cinéma. Déjà, en 1993, il filmait nos concerts niçois avec son camescope. Quand il a vu que nous jouions à Paris, il voulait célébrer nos retrouvailles par une belle captation multi-caméras du concert. Nous avons accepté sans hésiter ; déjà parce que, aujourd’hui, tous les concerts sont filmés par des téléphones, se retrouvent en ligne, et pas toujours avec une qualité optimale. Nous nous sommes dit que c’était l’occasion, pour ceux qui voulaient voir ce que donnait le groupe en live, de présenter quelque chose que nous avions validé. 

Avec From Dust To Light, c’est la première fois qu’un disque live officiel sort dans le parcours de Corpus Delicti. Or la "première ère" vous a vu apparaître sur des scènes d’importance dans 90’s, et ce jusqu’aux Etats-Unis. Aviez-vous déjà eu ce projet de disque live à l’époque ?
Sébastien : Pas vraiment il me semble. Il n’était sans doute pas aussi facile d’enregistrer les concerts en multipistes.


Quelles difficultés présente la restitution sur disque de la résonance live ? À quel point est-il possible de "recomposer" par le son et le mix l’authenticité d’un instant tel que celui-ci ? 
Franck : Techniquement il est plus compliqué de mixer des prises live que des prises studio où l’environnement est fait de manière à ne capter que ce que tu veux. En live, tous les instruments passent dans tous les micros. Surtout le chant. Quand Sébastien chante près de la batterie, ou passe près d’un ampli ou d’un retour par exemple tu récupères une grosse bouillie sonore. Ça peut être aussi un coup de pied dans un pied de micro, un jack qui craque etc., etc., bref : tu dois faire face à tout type de pollution. J’ai passé pas mal de temps à écouter et nettoyer les pistes une par une. Une fois ce travail effectué, un mix reste un mix. On s’y est mis à deux avec l’aide de mon compère de studio Téo Sarfati, qui a finalisé les choses.

Le travail sur votre musicalité live est passé par l’intégration du batteur Laurent Tamagno, survenue après le retrait de Roma. Un retrait dû, comme vous l’avez expliqué, à des problèmes de santé l’empêchant de délivrer performance… Mais Roma, courageusement, s’est inscrite dans la perpétuation du son du groupe par un dialogue préparatoire avec Laurent pour le familiariser avec certains aspects de la typologie rythmique de Corpus Delicti. Roma a-t-elle depuis suivi l’évolution du groupe et a-t-elle écouté les nouvelles bandes live ? Restez-vous dans une relation suivie avec elle ?
Sébastien : Oui, elle a eu un rôle très important dans ce retour, déjà parce qu’elle en est à l’origine. C’était sa proposition. Du coup, il est vrai que c’est difficile pour elle de ne plus pouvoir y participer. Mais son aide au moment de l’arrivée de Laurent a été très bénéfique. Nous sommes régulièrement en contact avec elle. Elle suit nos aventures. Nous échangeons.

Sébastien, il est connu que les chanteurs doivent prendre soin de leur voix, et d’autant plus avec les années. En quoi ta manière de travailler et d’entretenir ta voix a-t-elle évolué par rapport aux années 1990 ? Quels sont tes rituels de chauffe pré-concert, s’ils existent ?
Sébastien : J’ai des rituels aujourd’hui…que je n’avais pas du tout à l’époque. À vingt ans, je ne me posais aucune question sur ma voix. Je pouvais arriver sur scène et hurler dès la première note, cela ne me posait aucun problème (sourire). Maintenant, je fais plus attention : je me chauffe la voix avec les concerts, j’ai ma petite préparation eau + miel + citron… et un peu de vodka. Et je fais en sorte d’avoir des setlists où la voix est sans doute un peu moins sollicitée au début, histoire de me chauffer un peu.

Après toutes ces années d’expérience, le trac se produit-il toujours avant l’entrée sur scène ? Si oui : monte-t-il en backstage, dans les loges, en amont du show, ou peu de temps avant votre entrée, dans ce dernier couloir qui mène vers la scène ?
Sébastien : Pour moi, toujours un peu de trac, mais je pense que c’est nécessaire. Ca fait monter l’adrénaline. L’important, c’est qu’il disparaisse dès que je mets un pied sur scène. 
Franck : Je pense qu’on l’a tous avant de monter sur scène, mais il disparait rapidement après les premières notes.

Que vit-on sur scène ? Qu’éprouve-t-on physiquement, émotionnellement au moment de jouer, de produire ce son ?
Sébastien : Ah….La scène est une aventure incroyable. On me dit souvent que je suis un autre sur scène, pour ceux qui me connaissent dans la "vraie" vie. Je ne pense pas être un autre. Au contraire, je suis sans doute 100% moi sur scène, mais un "moi" que je n’ai pas l’occasion d’exprimer dans ma vie de tous les jours. J’adore cette sensation. Cela ne ressemble à rien d’autre.
Franck : L’accueil et l’échange avec le public restent quelque chose de spécial et d’unique sur le plan émotionnel. Sur scène, tu es dans une bulle sonore, avec de bonnes grosses montées d’adrénaline et beaucoup d’émotion à certains moments. Chaque concert est différent pour mille raisons. Nous adorons ça. La seule chose qui ne change pas, c’est qu’on donne tout comme si c’était notre dernier.

Une édition spéciale de From Dust To Light inclura un livre ornementé de photographies live signées Elliot Pietrapiana, qui fabrique aujourd’hui le visuel photographique voire l’artwork de Corpus Delicti. Sa capture des instants a une saisissante puissance. De quelle manière s’exprime l’exigence d’Eliott et du groupe dans le tri des images ? Quels critères entrent en jeu dans la sélection ou le sacrifice des images avant leur dévoilement ? Que doivent dire les images que vous dévoilez ?
Sébastien : Elliot est un jeune homme très doué…et je ne dis pas ça parce que c’est mon fils (sourire). Il est passionné de photographie/vidéos depuis quelques années et a commencé à nous suivre naturellement. Bien sûr, je ne l’ai pas imposé au groupe, il a été intégré grâce à son talent. Ce que nous apprécions, c’est qu’il porte un regard neuf et jeune sur notre musique, notre image. Il est d’abord le seul juge de ses photos. Il en prend beaucoup et fait un premier tri. Ensuite, nous choisissons nous-mêmes parmi sa sélection. Pour l’artwork du live, il nous a fait plusieurs propositions et nous sommes partis sur cette photo du public car c’est avant tout ce que nous retenons de ces 2 dernières années sur les routes.

Pensez-vous que le prochain album studio s’inscrira dans des reliefs proches du sound design du récent double single Chaos/The Crown ?
Sébastien : Il est un peu tôt pour le dire. Nous sentons quelque chose qui est en train de se dessiner mais il y a encore pas mal de travail pour déjà parler d’un couleur ou tendance générale.
Franck : Chaos/The Crown a été un grand soulagement. Ce n’était pas évident de revenir après tout ce temps, il fallait garder la même signature, sans tomber dans notre propre cliché de ce qu’était le groupe dans les années 1990. Il fallait être cohérent. Aujourd’hui on se sent libéré de ce poids et on compose sans trop réfléchir. Le nombre de concert ayant aidé aussi à retrouver ou trouver simplement un nouveau son.

Peut-on espérer une sortie de l’album courant 2025 ou n’êtes-vous pas encore certains du timing ?
Sébastien : Aucune certitude. Quelques singles, oui. Pour l’album, on veut se donner le temps. Nous n’avons aucun intérêt à nous presser. 
Franck : On va prendre le temps de composer et produire le meilleur opus possible.
Personnellement je suis déjà très content de ce qu’on vient d’enregistrer.

From Dust To Light sort chez Twilight Music Production, autrement dit sur le label que vous venez de monter pour vous-mêmes. L’album studio paraîtra-t-il aussi en mode indépendant ou réfléchissez-vous à recourir aux services d’une maison de disques ?
Sébastien : Il y a de très grandes chances que nous le sortions une totale indépendance. C’est un fonctionnement qui nous va bien. Il est vrai que ça prend un temps fou… Corpus Delicti commence à ressembler à une petite entreprise, mais c’est la nôtre et c’est très gratifiant de la gérer à notre façon, entouré quand même d’une équipe resserrée pour nous aider : notre ingénieur du son Frédéric Allavena, Elliot pour la partie graphisme, Dana, notre agent qui est en Angleterre et qui s’occupe des concerts, Béatriz, notre tour manageuse qui fait un travail exceptionnel.