Comment décrire la musique d’Ols ? Dark néofolk, ambient, ritual ? Un mélange de tout ça, à la fois sombre et lumineux mais surtout une musique unique composée comme une ode à la Nature. Anna Maria Oskierko, créatrice et seule maîtresse à bord, nous en raconte un peu plus au fil d’un entretien en deux parties.
Voici la première.
Obsküre : Anna Maria, peux-tu nous faire une présentation de ton projet Ols pour ceux qui ne te connaissent pas encore ?
Anna Maria Oskierko : Ols est mon projet tournant autour des sphères dark / neofolk atmosphérique. C'est le projet d'une seule femme au sens propre du terme - je compose, écris des paroles, chante et joue moi-même de tous les instruments. Mes chansons sont basées sur des harmonies vocales polyphoniques, complétées par des parties instrumentales construisant un caractère rituel et hypnotique. La musique d'Ols est le plus souvent décrite comme neofolk, mais il est difficile de l'étiqueter sous un genre spécifique car on peut y trouver des éléments de différents genres - du folk, en passant par la musique alternative, aux morceaux inspirés par du black metal atmosphérique. Ols ne peut être facilement comparé à aucun autre artiste - le son du projet est tout à fait singulier. Malgré son originalité, la musique d'Ols s'inscrit dans la tendance récemment populaire de la musique inspirée par le "retour aux sources". Cependant, les références à la tradition dans Ols ne sont ni directes ni évidentes - la référence au passé est davantage créée par l'atmosphère des chansons que par des emprunts de mélodies inspirées du folklore. À cet égard, Ols a un dénominateur commun avec des groupes tels que :Of The Wand And The Moon:, Agalloch, Dead Can Dance ou Tenhi, bien que cela sonne différemment de tout ce qui précède. Les critiques ont également comparé Ols à Wardruna, Alcest, Heilung, Drudkh, Skuggsja, Faun ou Myrkur, et bien que les similitudes semblent encore moins évidentes ici, ces comparaisons donnent une idée de la façon dont ma musique peut être perçue par le public et permettent de situer Ols dans un univers artistique particulier.
Le thème le plus important du travail d'Ols est la nature dans toutes ses expressions, avec un être humain en faisant partie intégrante, et la psyché humaine comme le reflet des changements naturels - les séquences des saisons, les cycles de naissance et de mort.
Ols est un mot polonais qui désigne une forêt d’aulnes qui poussent dans des zones humides (marais, marécages). Pourquoi avoir choisi ce nom ?
Les zones humides et marais recouverts d'une forêt d'aulnes étaient le paysage de mon enfance. J'ai grandi dans un village entouré de tels paysages, donc les aulnes et les tourbières ont été le décor de ma construction en tant qu'individu. Ma personnalité s'est développée parmi les aulnes, et l'atmosphère unique de ces lieux a pénétré profondément mon âme, faisant de moi ce que je suis aujourd'hui. De plus, selon les contes populaires, les tourbières et les marais sont aussi des lieux de secrets, le foyer de pouvoirs magiques maléfiques liés à la mort et au côté obscur de la réalité. En combinant ma relation personnelle à un tel environnement avec ses propriétés magiques, décrites dans les légendes du monde entier, j'ai obtenu l'image de quelque chose de profondément personnel, mais compréhensible pour les autres. Le nom du projet évoque un sentiment légèrement inquiétant et nous fait penser à un lieu mystique, sombre et brumeux habité par des pouvoirs sombres et étranges. C'est exactement l'ambiance que je veux créer avec ma musique.
Tu es grande fan d’Agalloch et du Great Cold Distance de Katatonia, mais aussi de musique polyphonique polonaise et de musique orthodoxe (NDA : deux morceaux sont inspirés par des mélodies anciennes : "The Unquiet grave" et "Oj, Chmielu"). Quels sont les artistes et quels albums qui t’ont donné envie de faire de la musique ?
Agalloch est mon groupe préféré. Ils sont capables de créer l'atmosphère exacte que je recherche dans la musique et dans l'art en général. Leurs œuvres évoquent en moi des sentiments profonds. Cette musique correspond parfaitement à ma personnalité. J'ai été très peinée lors de leur séparation. Les nouveaux groupes créés par les anciens membres d'Agalloch - Khorada et Pillorian - étaient tous les deux sympas, mais ce n'était pas la même chose. Ils n'ont pas vraiment réussi à toucher mon âme. Cependant, à la fin du mois de juillet, John Haughm a sorti son nouvel album 1865 // 1895: CAST.IRON.BLOOD., et j'ai enfin éprouvé ce que je devais ressentir en écoutant de la musique. Cet album m'a vraiment marquée et cela se manifestera sûrement, d'une manière ou d'une autre, sur mon prochain opus. Concernant Katatonia, je ne suis pas seulement fan de The Great Cold Distance, mais une grande fan de Katatonia en général, même si je dois avouer que leur dernier album ne m'a pas vraiment impressionnée. Peut-être n'a-t-il pas encore mûri en moi, mais pour l'instant j'ai la sensation qu'il lui manque quelque chose.
En parlant d'inspirations plus traditionnelles - j'absorbe simplement tout ce que je trouve intéressant. Je suis une très grande admiratrice de la musique orthodoxe, principalement parce que je suis amoureuse du chant polyphonique, mais aussi à cause de son atmosphère solennelle et rituelle que vous ne trouverez nulle part ailleurs. Les mélodies traditionnelles que vous mentionnez, cependant, n'ont rien à voir avec le chant orthodoxe ou polyphonique, car elles n'ont toutes deux qu'une seule ligne mélodique et ne sont liées à aucune musique sacrée. "The unquiet Grave" est une vieille chanson folk anglaise que j'ai décidé d'intégrer dans la mélodie que j'ai créée lors de ma visite en Angleterre. "Oj, Chmielu" est une chanson de mariage médiévale polonaise que j'ai utilisée sur mon premier album et qui parle d'une jeune fille solitaire rêvant d'être aimée et désirée.
Quand j'ai décidé de créer Ols, j'ai commencé par enregistrer des reprises d'Agalloch et de Katatonia, donc je pense que ces deux groupes m'ont encouragé à faire ma propre musique. En termes d'inspirations cependant, il y en a beaucoup d'autres à mentionner. Outre les morceaux inspirés d'Agalloch et de Katatonia, on peut trouver les influences de Gaahl's Wyrd, Solefald, Drudkh, Wardruna, :Of The Wand And The Moon:, Furia, Cult Of Luna, Clannad, Ajattara, Triptykon, Rotting Christ, Nest, juste pour en nommer quelques-uns.
Au départ, tu étais plutôt attirée par le fait de jouer du metal, mais tu t’es concentrée sur les arts que tu maîtrisais comme le chant, le piano, les instruments à vent... Ols aurait donc pu avoir une tout autre sonorité ?
Avant Ols, j'étais membre de quelques groupes de metal, mais aucun n'a marché. Quand j'ai décidé de créer mon projet solo seule, j'ai dû me concentrer sur ma voix et les instruments dont je peux assez bien jouer. Cela m'a automatiquement éloignée de l'univers metal vers des sons plus folkloriques. Des éléments dérivés de morceaux de metal étaient toujours présents, mais sous une forme modifiée - comme par exemple certains riffs joués à la flûte au lieu de la guitare. Ols ne pouvait pas sonner autrement, car, seule, avec mes propres moyens je n'aurais pas pu faire de metal sans recourir à l'aide d'un guitariste, batteur ou chanteur de metal professionnels. Maintenant, je me sens de plus en plus à l'aise dans ce que je fais. Je suis également arrivée à la conclusion que tu n'as pas besoin d'être un virtuose pour jouer d'un instrument. Par conséquent, sur "Widma", on peut entendre plus d'éléments metal enregistrés par mes soins - guitares électriques, hurlements, etc. Quand je pense aux prochains morceaux, je suis sûre qu'il y aura encore plus d'influences metal. Après tout c'est la musique que j'écoute, ma principale source d'inspiration et le genre qui a forgé mon goût musical.
Il y a souvent eu des passerelles entre le metal et la musique folk avec par exemple des groupes ou artistes tels qu’Isengard, Storm ou encore Kari Rueslatten. Tu es aussi sur un label black metal, Pagan Records. Alors, en termes d’audience, quel type de public écoute Ols ? Et d’où ?
Autant que je sache, mon public est très diversifié. Il y a évidemment des métalleux ouverts d'esprit, des gens intéressés par le neofolk et la musique rituelle, mais aussi des fans de chansons médiévales, des goths et beaucoup de gens friands de trucs sombres et dépressifs de toutes sortes, sans genre de musique préférée. Il y a aussi de nombreux amoureux de la nature qui écoutent généralement de la musique beaucoup plus légère, mais se sentent liés à mon travail en raison de son lien profond avec la nature. Il y a même des fans de musique pop qui, pour des raisons inconnues, ont trouvé mon projet intéressant.
J'ai envoyé mes CD dans tous les pays européens possibles, aux USA, au Brésil, à Hongkong, en Australie, en Argentine, au Japon, dans la partie asiatique de la Russie, en Indonésie… Honnêtement, je ne me souviens pas de toutes les destinations. Je suis assez étonnée que cette musique ait atteint des régions éloignées du monde, des endroits où je n'ai jamais été et où je n'irai probablement jamais. J'adore imaginer quelqu'un écoutant Ols dans un endroit exotique. Je me demande comment les gens, qui n'ont jamais vu les marais désolés polonais en novembre, perçoivent ma musique. Je parie que ce doit être une interprétation totalement innovante et inhabituelle de mes visions.
Ton troisième opus Widma (Spectres) chez Pagan Records est un concept album qui se présente comme une parabole sur le passage des saisons et les âges de la vie humaine (automne / vieillesse), comment cette idée t'est venue ?
Je suis née fin novembre, donc la mort automnale de la nature a toujours été étroitement liée à mon avancée en âge. Chaque fois que je fête une autre année sur cette terre, elle est accompagnée du silence de novembre, du bruissement des feuilles mortes, du triste bourdonnement du vent froid qui souffle à travers les forêts apaisées et vidées. Pour moi, associer le vieillissement au passage des saisons est assez naturel. Je suis une personne très empathique, donc pendant cette agonie automnale je sympathise avec le monde naturel, je peux ressentir sa peur, sa douleur et ensuite le réconfort apporté par la première neige. Pendant ce temps, la partie la plus sombre et la plus ancienne de moi est réveillée. Je peux vraiment me sentir comme une vieille femme qui comprend l'automne d'après sa propre expérience. Elle se prépare à sa propre mort alors que la nature se prépare pour l'hiver... Le nouveau matériau sonore est plus sombre que les précédents enregistrements d'Ols. Cela peut sembler étrange, car récemment la direction que ma vie a prise m'a rendue heureuse, et c'est peut-être pourquoi j'ai ressenti le besoin de créer une musique et des paroles plus dépressives, sûrement pour garder l'équilibre.
En 1998, Andrea Mayer Haugen (Hagalaz’ Runedance) confiait au magazine Orkus : "Pour se trouver soi-même il faut chercher dans la nature." Peut-on y trouver un écho dans ta musique ?
En fait Andrea n'a pas été la première à dire ça, cette opinion était déjà présente dans l'art et la philosophie de tous temps, depuis l'Antiquité, avec son apogée pendant le romantisme. Néanmoins, je suis heureuse que vous ayez choisi de citer Haugen, car elle a été l'une des pionnières en termes de projets féminins liés à la scène musicale heavy, tout en présentant une approche complètement différente de la musique elle-même. Bien que ce que je fais soit différent, je ressens le lien avec ses œuvres, principalement en raison de leur caractère rituel fascinant et, bien sûr, du fait qu'elles soient inspirées par la nature. Je ne peux pas être en désaccord avec la déclaration d'Andrea sur la nature - je ressens la même chose, et je suis sûre que c'est le sentiment partagé par tous les êtres humains sensibles.
Tu exprimes à travers Ols un amour profond pour la Nature, comment cela s'exprime-t-il dans ta vie quotidienne ? Te considères-tu comme animiste, panthéiste ? Tu déclares que "la Nature est plus importante que les gens", peux-tu nous en dire plus ?
Je pense que personne ne devrait en douter. La nature est plus importante que les gens. C'est aussi simple que ça. Ce n'est pas une opinion personnelle, c'est un fait. L'espèce humaine n'est qu'une des millions de créatures vivant sur Terre, un simple grain de poussière dans l'immensité de l'univers. Nous sommes les sujets de forces universelles; nos vies sont régies par les mêmes règles que toute autre partie du cosmos. Nous sommes insignifiants, sans importance. Notre disparition ne causerait aucun désastre ; au contraire, la vie sur notre planète serait meilleure sans nous. Même notre pouvoir de détruire ne semble pas pertinent dans un contexte plus large. Dans le pire des cas, nous ruinerons une grande partie de la faune actuellement existante sur une petite planète, mais certaines formes de vie survivront de toute façon et continueront à habiter la Terre. Ce qui n'est également qu'une planète parmi un nombre indéfini de planètes dans l'univers, pas plus importante que toute autre.
Dans ma vie quotidienne, j'essaie de vivre en harmonie avec la nature - je suis végétarienne, j'ai mis en œuvre des règles de réduction de mes déchets dans ma routine quotidienne, je vérifie les ingrédients des produits que j'utilise pour m'assurer qu'ils ne sont pas fabriqués avec des substances dont la production nuit à la faune. Récemment, j'ai acheté un terrain dans les montagnes et j'ai l'intention d'en consacrer une grande partie à la nature - je ne couperai pas les buissons dans lesquels les animaux pourraient se cacher, je laisserai le pré et la forêt dans leur état naturel pour créer un havre de paix pour toutes les créatures là-bas. Hormis la petite partie de terrain où j'ai l'intention de vivre, le reste sera laissé aussi naturel que possible. Malheureusement, en tant qu'individu, je ne peux faire que de petites choses pour protéger la faune, mais je crois que si plus de gens faisaient de petits gestes, les conditions générales pourraient s'améliorer. Bien sûr, uniquement localement et temporairement, car le problème existera tant que la population humaine continuera de croître. Mais c'est encore un autre sujet assez déprimant.
Tu es guide de montagne et tu pratiques la randonnée. Est-ce une source d'inspiration pour toi ? Une bouffée d'oxygène ?
Chaque contact avec la nature est une source d'inspiration pour moi. Je suis guide de montagne, mais récemment je n'ai pas été active dans ce métier et je ne guide que mes amis et ma famille. J'adore me promener dans les forêts des Carpates, quand on peut découvrir les derniers vestiges d'une vraie nature sauvage. Lorsque le seul son créé par l'homme que vous pouvez entendre toute la journée est le rythme de vos propres pas et de votre rythme cardiaque, ce bruit sourd répété submerge vos sens, il fonctionne comme un tambour chamanique rituel, vous entraînant lentement dans une sorte de transe et laissant votre esprit planer librement. Une fois que j'atteins un tel état, je commence généralement à fredonner quelque chose. Les bribes de mélodies apparaissent juste dans ma tête. Parfois, il y a des mots, parfois juste un son. C'est ainsi que mes meilleures idées sont nées.
Les paysages (Carpathes) et les voyages (Portugal, Angleterre, Norvège) semblent être une grande source d’inspiration pour toi. Y-a-t'il des destinations qui t'ont marquée et d'autres que tu souhaiterais découvrir ?
Les paysages des lieux que je visite laissent toujours une marque sur mon imagination, mais il ne s'agit pas toujours du lieu lui-même - parfois il s'agit simplement de voyager. Je trouve souvent des idées dans les trains, les avions et les bus, même quand ce n'est pas un grand voyage, comme un retour en voiture pour Noël. Je crois que c'est parce que lorsque vous êtes sur la route, vous n'êtes pas aussi distrait que d'habitude et vous avez simplement le temps de réfléchir. Je désactive toujours la connexion Internet lorsque je voyage pour me laisser aller à mes propres pensées. Habituellement, j'y trouve quelque chose d'intéressant. Il s'avère que pour créer, j'ai juste besoin de me retrouver avec moi-même, sans les distractions du quotidien. Bien sûr, les beaux paysages et le contact avec la nature aident, mais ils ne sont pas nécessaires.
Pour ce qui est des endroits que j'aimerais voir, j'ai encore le monde à découvrir. J'aimerais voir autant d'endroits que possible avant de mourir. Pour le moment, mes choix de voyage se limitent principalement aux destinations européennes, en particulier en période de pandémie ; mais j'espère que la situation finira par revenir à la normale et que j'aurai une chance d'atteindre mes objectifs de voyage plus ambitieux.
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SECONDE PARTIE DE L'ENTRETIEN avec Anna Maria Oskierko à suivre ici.